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Question de litiges

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    Mai 2024

    Il nous fait plaisir de vous présenter notre publication bi annuelle Question de litiges ayant comme mission d’attirer l’attention de nos lectrices et lecteurs sur des décisions récentes des tribunaux canadiens qui, selon nous, peuvent avoir un impact sur la gestion des réclamations dans notre industrie. Dans le présent numéro, nous avons choisi parmi les nombreuses décisions récentes quelques jugements d’intérêt en matière d’assurance vie et d’assurance maladies graves.  

     

    Assurance vie

    1. Lors de la transformation d’une police temporaire, le droit d’annulation dans les 10 jours met fin à la nouvelle police universelle malgré le décès de l’assuré pendant cette période et la police temporaire est remise en vigueur. 

    L’affaire Thomson vs. Ivari, dont le jugement de première instance1 a été confirmé par la Cour d’appel de l’Alberta2 en décembre 2023, fait actuellement l’objet d’un recours par l’assureur ivari pour autorisation d’en appeler devant la plus haute instance du pays, la Cour suprême du Canada. Ce recours fait de plus l’objet d’une intervention de l’ACCAP en raison du caractère important de cet appel pour notre industrie.

    M. Thomson était assuré pour 1,3 million de dollars sous une police d’assurance vie temporaire renouvelable et son ex conjointe en était la titulaire et l’unique bénéficiaire. Avant l’expiration de la police temporaire, la titulaire de la police a choisi d’exercer son droit de la transformer sans preuve d’assurabilité en une police d’assurance vie universelle avec un capital réduit à 400 000$ afin de diminuer le montant des primes. La clause de transformation applicable confirmait la résiliation immédiate de la police temporaire dès la demande de transformation et ce, avant même l’entrée en vigueur de la nouvelle police. La clause de transformation interdisait également la remise en vigueur de la police temporaire.

    La nouvelle police universelle prévoyait une période d’examen de 10 jours qui est obligatoire en Alberta et le remboursement de la prime initiale si la titulaire de la police désirait annuler la nouvelle police dans ce délai. M. Thomson est décédé pendant le délai d’annulation de 10 jours. Mme Thomson a informé ivari qu’elle voulait annuler la nouvelle police universelle et rétablir l’ancienne police temporaire. ivari a informé Mme Thomson que la police temporaire ne pouvait être remise en vigueur conformément à la clause de transformation et que la vie assurée étant décédé, elle n’avait plus le droit d’annuler la nouvelle police. Par conséquent, ivari a reconnu sa responsabilité vis-à-vis la nouvelle police et a versé le capital assuré de 400 000$ au tribunal puisque Mme Thompson demandait la remise en vigueur de la police temporaire et que lui soit payé le montant de 1,3 million de dollars. 

    En première instance, le tribunal a conclu que le droit d’annuler la police dans les 10 jours reste applicable malgré le décès de l’assuré pendant cette période. Ainsi, puisque la nouvelle police a été annulée dans le délai 10 jours, elle n’a jamais pris effet et la police temporaire n’a pas pris fin puisqu’elle n’a pas été transformée:  la terminaison de la police temporaire est inopérante puisqu’il n’y a pas de date de mise en vigueur à la nouvelle police. De façon similaire, la transformation de la police temporaire est inopérante puisqu’il n’y a pas de nouvelle police3. Le tribunal de première instance a donc donné raison à Mme Thomson.

    La Cour d’appel viendra confirmer la décision de première instance. Elle précise d’abord que le délai de 10 jours exigé par l’article 5 de la Fair Practices Regulation de l’Alberta s’applique aux polices de remplacement et aux polices transformées et ce, malgré le décès de l’assuré pendant ce délai. En s’appuyant sur la Loi sur les assurances de l’Alberta, elle confirme la distinction entre un contrat d’assurance et une police d’assurance. En l’espèce, il a deux polices d’assurance mais un seul contrat d’assurance en raison du fait que le droit de transformation prévu par la police temporaire n’exigeait pas de preuve d’assurabilité au moment de la transformation. La Cour d’appel conclut que Mme Thomson détenait deux polices avec ivari sous le chapeau d’un contrat-cadre, à savoir la police temporaire et la police universelle. Le remplacement de la police temporaire et l’annulation de la police universelle constituent donc une seule et même opération. Après la réalisation de la condition résolutoire, soit l’annulation de la police universelle dans le délai d’examen de 10 jours, cette dernière doit être considérée comme n’ayant jamais existé. ivari devra donc payer la capital assuré 1,3 million de dollars sous la première police.

    À première vue, on peut s’interroger sur la pertinence d’en appeler d’une décision dont les faits, soit le décès de la vie assurée pendant la période d’examen de 10 jours, risquent fort peu de se reproduire. Cependant, on est en droit de questionner l’impact de la décision de la Cour d’appel de l’Alberta sur la stabilité et la prévisibilité des contrats d’assurance alors que sous la théorie d’un seul contrat chapeautant plusieurs polices d’assurance, il devient possible de remettre en vigueur la première police malgré une clause de transformation qui prévoyait clairement la fin du contrat temporaire. On suivra donc de près l’issue du pourvoi en appel devant le plus haut tribunal du pays. 

    2. Conséquence du défaut de consignation du montant d’assurance dans le cadre d’une dispute entre bénéficiaires sur l’octroi du produit d’assurance vie.

    Une décision récente de la Cour Supérieure du Québec4 en date de juin 2023 vient rappeler que lorsque survient une dispute de bénéficiaires sur l’octroi du produit d’une police d’assurance vie, l’assureur doit consigner le produit d’assurance auprès du ministre des Finances, conformément aux dispositions de la Loi sur les dépôts et consignations ou encore au Bureau général de dépôts pour le Québec, conformément aux dispositions de l’article 1583 C.c.Q..

    Le tribunal a considéré que puisque l’assureur Sun Life ne s’est pas acquitté de son obligation, il a pu s’enrichir des rendements accumulés sur le montant assuré. Par conséquent, une fois la dispute entre bénéficiaires résolue, soit par un jugement du tribunal ou par une entente hors cour, l’assureur devra payer les intérêts légaux applicables non pas à compter de la mise en demeure du réclamant comme il se fait habituellement, mais à compter de 30 jours suivant la réception de la documentation reliée à la demande de prestation conformément à l’article 2436 C.c.Q.. 

    Assurance maladies graves

    Annulation de police pour fraude confirmée par le tribunal. 

    Dans les dernières années, plusieurs décisions de tribunaux canadiens ont confirmé le bien-fondé de la décision de l’assureur d’annuler la couverture maladies graves d’un assuré pour fausses déclarations médicales dans le cadre d’une réclamation survenue dans la période de contestabilité du contrat, soit dans les deux premières années de mise en vigueur de la couverture5.

    Au mois d’octobre 2023, la Cour supérieure du Québec a eu l’occasion de se pencher sur un premier cas d’annulation d’une police de maladies graves pour fausses déclarations médicales nécessitant la preuve de fraude puisque la police était en vigueur depuis plus de deux ans au moment de la réclamation6.

    M. Paul-Hus a souscrit à une police maladies graves auprès de l’assureur Sun Life pour un montant de 100,000$ qui a été émise le 13 mars 2015 suite à une application complétée par entrevue téléphonique dans laquelle il déclaré un passé médical d’amygdalite et de blessure à l’épaule. À la demande de l’assureur, il s’est également soumis à un profil sanguin et à une analyse d’urine.

    Plus de trois ans plus tard, soit en août 2018, il soumet une réclamation auprès de Sun Life incluant une Déclaration complétée par le neurologue traitant qui indiquait un diagnostic de maladie neurone moteur inférieur monolémique (atrophie musculaire progressive) en date du 1er février 2018, des symptômes associés à la maladie qui ont débuté en 2014 et une première visite médicale le 24 février 2015.

    En raison d’une indication d’histoire médicale non déclarée à l’émission de la couverture, l’assureur était en droit d’effectuer une vérification du passé médical du réclamant. Cette investigation révélera que quelques semaines avant d’appliquer pour la couverture maladies graves, M. Paul-Hus avait consulté un neurologue en raison de  faiblesses progressives à la main et au bras gauche dont il souffrait depuis août 2013. Un EMG a été effectué le 24 février 2015 montrant des changements de dénervation à l’avant-bras. Plusieurs investigations et consultations médicales additionnelles seront effectuées après la mise en vigueur de la police et qui aboutiront à un diagnostic probable de maladie dégénérative type atrophie musculaire progressive en janvier 2018.

    Par conséquent, la Sun Life refuse la réclamation et procède à l’annulation de la police puisque selon les normes de sélection applicables de l’assureur, l’émission de la couverture maladies graves aurait été suspendue jusqu’à la fin des investigations médicales. Par conséquent,  aucune police n’aurait été émise puisque les  investigations ont conduit au diagnostic pour lequel M. Paul-Hus fait une réclamation. 

    La juge observe d’abord que malgré des questions claires à cette effet dans l’application, le demandeur n’a rien déclaré de son histoire médicale. Par la suite, elle fait une révision pertinente de la jurisprudence applicable au fardeau de preuve pour l’annulation du police lorsque la couverture est en vigueur depuis plus de deux ans et pouvant se résumer comme suit:  (…)Il faudrait nécessairement que ce fût d’avoir représenté comme vraie une situation, une condition de santé, qu’on savait être fausse, et cela dans le but de tromper la compagnie d’assurance et de l’amener à consentir et à émettre une police d’assurance qu’elle n’eût pas autrement consentie et émise7.

    La juge confirme que l’assureur s’est déchargé de son fardeau de preuve et était bien fondé en l’espèce d’annuler ab initio la police maladies graves considérant que le demandeur ne peut avoir oublié les symptômes dont il souffrait au moment d’appliquer à cette couverture ni les nombreuses consultations médicales et les investigations effectuées quelques semaines avant l’application: Paul-Hus omet sciemment de révéler les informations qu’il rapporte pourtant quelques semaines plus tôt au Dr Brunet sur les symptômes qu’il présente. Il néglige en toute connaissance de cause d’informer l’assureur de ses consultations récentes avec un chirurgien plastique et un neurologue en plus des examens prescrits et de l’investigation en cours en neurologie en raison de la faiblesse au bras et à la main gauche présentée. Cela démontre clairement, de l’avis du Tribunal, l’intention du demandeur de cacher son véritable état de santé dans le but de tromper la Sun Life et d’ainsi obtenir la couverture d’assurance souhaitée8.

    M. Paul- Hus a porté ce jugement en appel. Sun Life a récemment déposé une requête en rejet d’appel en arguant que la demande d’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès, mais Sun Life a été débouté sur sa requête9. Nous suivrons donc avec intérêt la suite du dossier de M. Paul-Hus devant la Cour d’appel.

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    La présente publication est fournie à titre informatif seulement et ne constitue pas un avis juridique.
    Coordonnées de l’auteur
    charlestremblay
    Charles Tremblay, B.A., LL.B.
    Vice-président adjoint, réclamations et litiges

    Référence

    1. Thomson v. Ivari, 2022 ABKB 59 2. Thomson v. Ivari, 2023 ABCA 369 3. Traduction par l’auteur du paragraphe 96 de la décision 4. Pelletier c. Sun Life du Canada, Compagnie d'assurance-vie, 2023 QCCS 2884 5. Voir par exemple: Dussault c. Industrielle Alliance, assurances services financiers, 2018 QCCQ 5158 ; Hamideh c. Industrielle Alliance, assurances et services financiers inc., 2016 QCCS 631 ; Linden v. CUMIS Life insurance Company, 2014 NSSC 115 6. Paul-Hus c. Sun Life Canada, compagnie d'assurance-vie, 2023 QCCS 3890 7. Paragraphe 44 du jugement  8. Paragraphe 51 du jugement   9. Paul-Hus c. Sun Life Canada, compagnie d'assurance-vie, 2024 QCCA 46