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Question de litiges

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    Décembre 2024

    Notre publication bi annuelle Question de litiges a comme mission d’attirer l’attention de nos clients sur des décisions récentes des tribunaux canadiens ou sur des modifications législatives qui peuvent avoir un impact sur la gestion des réclamations dans notre industrie.

    Dans le présent numéro, nous nous attardons à étudier l’impact du projet de Loi 68 provenant du gouvernement du Québec intitulé Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins et dont les dispositions entreront en vigueur de façon successive dès le 1er janvier 2025. 

    Le Projet de loi numéro 68 du gouvernement du Québec (identifié plus bas par l’abrégé PL 68) intitulé la Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins a récemment été sanctionné  par l’Assemblée nationale le 9 octobre 2024. Il modifie la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée (identifiée plus bas par l’abrégé LAS) et Loi sur les normes du travail (identifiée plus bas par l’abrégé LNT).

    Dans la foulée du manque de médecins généralistes dans la province de Québec alors qu’en 2024, 2,3 millions de Québécoises et de Québécois n’avaient pas accès à un médecin de famille sur une population d’environ 9 millions d’habitants (source : Le Journal de Montréal), le ministre de la Santé du Québec s’est engagé à alléger les tâches administratives des médecins afin de leur permettre de se concentrer davantage sur le traitement des patients et les actes médicaux.

    La première version du PL 68 a été déposée le 31 mai 2024. Des comités spéciaux ont rapidement été mis sur pied par l’ACCAP afin de conduire une révision du contenu du PL 68 et de rédiger un mémoire destiné aux instances gouvernementales qui incluait des recommandations précises afin de s’assurer que le PL 68 ne s’attaque pas la viabilité financière des régimes collectifs des employeurs.

    La version finale du PL 68 a été sanctionnée par l’Assemblée nationale le 9 octobre dernier. Malgré que la version finale ait intégré la majorité des modifications législatives recommandées par le mémoire de l’ACCAP, plusieurs dispositions que nous résumons plus bas auront des impacts sur la gestion de l’absentéisme au travail par les employeurs ainsi que sur la gestion des réclamations d’invalidité et de soins de santé paramédicaux par les assureurs et administrateurs de régimes d'avantages sociaux. De plus, le PL 68 aura un impact sur les assureurs de l’industrie canadienne offrant des produits d’assurance au Québec puisqu’il s’applique aussitôt que le médecin, généraliste ou spécialiste, pratique au Québec. 

    Les modifications introduites par le PL 68 à la LNT apportent des restrictions quant à l’obligation pour les employés de fournir des attestations médicales lors d’absences pour cause de maladie ou de blessure.

    L’ajout d’un nouvel alinéa à l’article 79.2 LNT interdira aux employeurs de demander une attestation médicale  pour les « trois premières périodes d’absence d’une durée de trois journées consécutives ou moins prises annuellement » (PL 68, article 7). Par conséquent, les employeurs conservent le droit de demander une attestation médicale lorsque l’absence se prolonge au-delà de cette nouvelle norme. 

    Par ailleurs, l’article 8 du PL 68 interdit désormais aux employeurs d’exiger une attestation médicale pour justifier les absences liées aux obligations familiales ou parentales, par exemple les soins apportés à un enfant ou à un proche (article 9 du PL 68). Un employeur pourra encore exiger de la personne salariée de lui fournir un document attestant des motifs de cette absence, mais ce document ne peut plus être un certificat médical, peu importe les circonstances. 

    La première version du PL 68 interdisait à tout assureur ou un administrateur de régime d’avantages sociaux d’exiger une consultation ou un suivi médical pour le maintien des prestations d’invalidité, sauf dans les cas et aux conditions déterminées par règlement du gouvernement. Cette nouvelle disposition contredisait cependant  l’exigence de suivi médical régulier qui se retrouve généralement dans les définitions d’invalidité totale apparaissant aux contrats d’assurance invalidité.

    Le mémoire de l’ACCAP a permis d’attirer l’attention du législateur sur le fait que l’interdiction de demander aux assurés des suivis médicaux réguliers pour la poursuite des prestations d’invalidité pourrait attaquer les taux de terminaison des couvertures d’invalidité de longue durée et par conséquent attaquer la viabilité financière des régimes collectifs. Le gouvernement du Québec s’est montré sensible à cette argumentation et a assoupli cette restriction dans la version finale du PL 68 par l’ajout du nouvel article 29.2 LAS :

    29.2. Aux fins de maintenir le versement d’une prestation d’invalidité, un assureur ou un administrateur de régime d’avantages sociaux ne peut, même indirectement, exiger d’un assuré, d’un adhérent ou d’un bénéficiaire qu’il reçoive un service médical à une fréquence prédéterminée différente de celle jugée appropriée par le médecin traitant de cet assuré, de cet adhérent ou de ce bénéficiaire. Un règlement du gouvernement peut déterminer les cas et les conditions auxquels il peut être fait exception au premier alinéa.

    Le nouvel article 29.2 LAS interdit désormais aux assureurs et administrateurs d’avantages sociaux d’exiger des fréquences de visites médicales autres que celles jugées appropriées par le médecin traitant d’un assuré recevant des prestations d’invalidité. Il restera donc possible de demander à un assuré de revoir son médecin traitant pour une consultation ou suivi médical ad hoc, mais cette demande devra se faire façon parcimonieuse  sans qu’elle ne soit trop fréquente pour un même assuré afin de ne pas induire de façon indirecte une fréquence médicale autre que celle déterminée par le médecin traitant, ce qui serait contraire au nouvel article 29.2 LAS. Il sera donc important de se ternir informer de ses suivis médicaux auprès de l’assuré et de les documenter au dossier conformément aux exigences contractuelles de suivis réguliers.

    L’interdiction de l’article 29.2 LAS ne contraindra pas non plus les assureurs et administrateurs d’avantages sociaux à modifier l’exigence d’un suivi médical régulier qui retrouve généralement dans les contrats d’assurance invalidité. Cependant, l’utilisation d’une exclusion contractuelle prévoyant la suspension ou la terminaison des prestations d’invalidité en raison d’un suivi médical déficient ou insuffisant pourra être conforme à l’article 29.2 LAS que si un assuré n’est pas compliant aux suivis médicaux prévus par son médecin traitant, mais ne sera pas conforme à l’article 29.2 LAS si c’est l’assureur ou l’administrateur d’avantages sociaux qui considérait que la fréquence de suivis médicaux établie par le médecin traitant est insuffisante.

    Le PL 68 ne limite aucunement la possibilité pour les assureurs et administrateurs de régime d’avantages sociaux  de questionner par écrit le médecin traitant sur l’état de santé d’un patient qui reçoit des prestations d’invalidité ou d’obtenir son dossier médical.  Cependant, la version finale du PL 68 ajoute le nouvel article 29.4 LAS qui prévoit que le ministre de la Santé du Québec peut exiger, par règlement, l’utilisation d’un formulaire unique par les médecins. L’ACCAP prévoit proposer au gouvernement de s’inspirer de l’initiative de la Nouvelle-Écosse qui a uniformisé les formulaires d’invalidité courte et longue durée en collaboration avec les assureurs. On verra cependant si le ministre de la Santé adoptera ou non un règlement exigeant l’utilisation d’un formulaire unique dans un avenir rapproché.

    Un autre aspect important du PL 68 est l’ajout du nouvel article 29.1 LAS qui prévoit que les assureurs et administrateurs de régimes d'avantages sociaux ne pourront plus exiger d’attestation d’un médecin pour le remboursement du coût des services d’un intervenant du domaine de la santé ou des services sociaux (chiropraticien, homéopathe, naturopathe, ostéopathe, psychologue, travailleur social, etc.) et pour le remboursement du coût d’une aide technique, soit le remboursement du coût d’un appareil conçu pour soutenir, maintenir ou remplacer une partie du corps ou une fonction déficiente. Le même article prévoit également que des exceptions à l’interdiction d’exiger une attestation médicale pourront être adoptées par règlement.  À cet effet, le comité de l’ACCAP a émis des recommandations précises au gouvernement afin de diminuer les risques potentiels d’abus ou lorsque le coût de l’aide technique est substantiel.

    Le PL 68 entrera en vigueur de façon successive. Tout d’abord, les modifications ayant trait à la Loi sur les normes du travail affectant la gestion médicale de l’absentéisme au travail par les employeurs entreront en vigueur dès le 1er janvier 2025 ( PL 68, article 11.3).

    L’article 29.1 LAS s’appliquant aux réclamations en soins de santé paramédicaux entrera en vigueur dès l’adoption du premier règlement pris en vertu de l’article 29.1 de cette loi  (PL 68, article 11. 1), soit dès l’adoption du règlement édictant les exceptions permises par le ministre de la Santé à l’article 29. 1, mais, en tous les cas, pas avant le 9 avril 2025.

    Il semble que le législateur ait omis d’indiquer la date d’entrée en vigueur de l’article 29.2 LAS impactant la gestion des réclamations d’invalidité. Cette omission sera sans doute corrigée d’ici peu, mais on sait cependant que cette entrée en vigueur ne peut se faire avant le 9 avril 2025 (PL 68, article 11).  

    Les assureurs et administrateurs de régime d’avantages sociaux auront également jusqu’au 9 octobre 2027 pour effectuer les modifications nécessaires à leurs contrats collectifs et individuels afin de se conformer aux nouvelles exigences des articles 29.1 et 29.2 LAS ( PL 68 , article 11.2).

    Il est important de noter que le nouvel article 29.5 LAS confère à Santé Québec le pouvoir de surveiller la conformité des pratiques des assureurs et administrateurs de régimes d’avantages sociaux aux nouvelles restrictions apportées par le PL 68, en exigeant des rapports d’audit. En outre, Santé Québec pourra procéder à des inspections sur place pour s’assurer que les pratiques des assureurs et administrateurs de régime respectent les nouvelles règles.

    Le non-respect des dispositions du PL 68 pourra entraîner des sanctions administratives allant jusqu’à 5 000 $ pour tout manquement. Plus encore, le nouvel article 29.15 LAS prévoit des sanctions pénales sévères pour un assureur ou un administrateur de régime qui exigerait un service médical en contravention avec l’article 29.1. et 29.2 LAS qui pourront varier entre 10 000$ et 1 000 000$.

    Conclusion

    Il sera important pour les assureurs et administrateurs de régime d’avantages sociaux d’effectuer rapidement la formation nécessaire pour ajuster les pratiques internes et le suivi des rendez-vous médicaux aux modifications apportées par le PL 68, notamment en matière de gestion des réclamations d’invalidité. L’équipe d’experts en réclamations et en litiges de Munich Re est en mesure de vous fournir tout l’appui et l’expertise nécessaires pour s’assurer que vos pratiques en matière de réclamation et vos contrats d’assurance soient mis à jour rapidement afin d’être conformes aux nouvelles exigences du PL 68. N’hésitez pas à nous contacter à cet effet. 

     

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    Coordonnées de l’auteur
    charlestremblay
    Charles Tremblay, B.A., LL.B.
    Vice-président adjoint, réclamations et litiges
    Munich Re, Canada (vie)