Les défis posés par les prestations partielles d’assurance maladies graves
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Novembre 2024
L’assurance maladies graves au Canada est à la croisée des chemins. En réaction aux impressions des consommateurs et à la surveillance accrue des autorités réglementaires, les assureurs évaluent les avantages et les inconvénients de modifications, notamment de l’élargissement de la protection pour inclure des conditions médicales moins graves. Dans cet article, nous traitons des effets que pourrait avoir un tel élargissement et des liens à faire avec la raison d’être du produit.
Situation actuelle
L’assurance maladies graves est offerte au Canada depuis plus de 30 ans, et plus de deux millions de Canadiens en bénéficient grâce à des régimes individuels ou collectifs1. À l’origine, le produit a été proposé en Afrique du Sud pour protéger les gens recevant un diagnostic « catastrophique » qui bouleversait leur vie et qui avait des répercussions financières considérables. L’assurance maladies graves couvre habituellement plus d’une vingtaine de conditions médicales graves pour lesquelles un paiement intégral est offert.
Au fil des ans, l’assurance maladies graves au Canada s’est transformée. Les contrats d’assurance se sont complexifiés, ce qui a suscité des reproches : certains pensent que le produit est trop difficile à comprendre pour les consommateurs et les conseillers ou que les réclamations sont trop souvent refusées. Le Sondage sur l’assurance individuelle de Munich Re 2024 révélait que 17 % des réclamations d’assurance maladies graves présentées entre 2019 et 2023 ont été refusées. Ce taux est nettement supérieur au taux de refus en assurance vie, qui est d’environ 0,5 %, mais il est comparable au taux de refus en assurance invalidité. Encore plus important peut-être, 71 % de ces refus étaient fondés sur un écart par rapport à la définition de la condition selon la police ou sur le fait que la condition était exclue de la couverture2. Ces deux motifs portent à croire que le produit est effectivement mal compris.
Il n’est donc pas surprenant que les organismes de réglementation aient porté leur attention sur l’assurance maladies graves. Compte tenu du mécontentement des clients, l’Autorité des marchés financiers (AMF), un organisme de réglementation québécois, a publié un rapport en 2021 dans lequel elle appelle l’industrie de l’assurance à combler les lacunes perçues de l’assurance maladies graves, en particulier le manque de connaissances des consommateurs3.
Pour répondre à ces préoccupations, les acteurs de l’industrie – les membres de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) en tête – ont créé des guides pratiques sur les produits afin de mieux informer les consommateurs et les conseillers. L’un de ces guides porte sur l’assurance maladies graves, sa nature de protection du vivant et la terminologie connexe. Le guide pratique vise à aider les consommateurs et les conseillers à comprendre les processus d’acquisition et d’indemnisation d’une assurance maladies graves.
Outre l’éducation accrue des consommateurs, les assureurs du monde entier envisagent de plus en plus d’élargir la portée du produit de façon à payer des prestations partielles pour des variantes moins graves des conditions et interventions couvertes. En effet, la hausse du nombre de prestations versées, même si celles-ci étaient réduites, pourrait contribuer à apaiser les frustrations à l’égard du produit.
Lecture complémentaire :
Prestations réduites d’assurance maladies graves
Vous vous demandez peut-être en quoi consistent les prestations réduites d’assurance maladies graves au Canada. À l’heure actuelle, les conditions et interventions couvertes donnant droit à un paiement intégral sont définies avec précision dans les contrats d’assurance. Dans le cas d’un petit nombre de conditions médicales, on décrit également les variantes moins graves qui peuvent donner droit à une prestation réduite ou partielle. Un cancer du sein non invasif (in situ) ou un cancer de la prostate à un stade très précoce en sont des exemples.
D’autres pays utilisent des approches et des termes différents dans leurs documents sur les produits d’assurance maladies graves :
- En Afrique du Sud, on a formulé des définitions fondées sur la gravité pour créer des seuils de gravité des conditions et interventions couvertes. Chaque seuil a sa propre définition et un montant de garantie distinct.
- À Singapour, des produits fondés sur les effets prévoient des prestations établies en fonction de la gravité des effets de la maladie ou du traitement plutôt que de son diagnostic.
- En Chine et à Singapour, en plus des prestations intégrales en cas de condition médicale grave, on offre des prestations partielles en cas de conditions médicales « mineures » ou chroniques, comme l’ostéoporose et la dyslexie.
Peu importe l’approche adoptée, les consommateurs d’autres marchés dans le monde reçoivent plus facilement une indemnisation, qu’il s’agisse d’un paiement intégral ou de prestations partielles. Cela s’explique par le nombre de conditions et d’interventions couvertes et les stades multiples inclus dans la couverture.
Peut-on conclure que ces prestations réduites donnent de bons résultats? Il est difficile de répondre à cette question en raison du manque de données fiables et des variations entre les produits offerts. En Asie, les ventes d’assurance maladies graves ont toujours fluctué et il n’y a pas de corrélation étroite entre l’instauration de prestations réduites et la hausse des ventes. Il n’est pas non plus évident que la satisfaction de la clientèle s’est améliorée grâce à l’intégration de ces prestations réduites. Les résultats sont donc difficiles à évaluer.
Défis posés par l’intégration de prestations réduites
Les compagnies qui envisagent d’offrir des prestations réduites devront étudier la question sous tous ses angles, notamment en tenant compte des difficultés suivantes.
Plus d’information à comprendre
Comme les produits d’assurance maladies graves contiennent à la fois des termes médicaux et des termes d’assurance, ils sont difficiles à comprendre. Les définitions des termes médicaux se sont allongées au fil du temps. Par exemple, la définition du cancer qui est utilisée comme référence au Canada est passée de 100 mots en 2008 à 504 mots en 20184. L’intégration de variantes moins graves des conditions médicales nécessiterait une définition pour chaque variante, ce qui allongerait encore ces définitions. De plus, il faudrait que les nouvelles définitions soient suffisamment claires pour faciliter la compréhension des consommateurs et, en même temps, qu’elles tiennent rigoureusement compte des perspectives médicales, juridiques, de la sélection des risques et du règlement des réclamations.
Plus d’explications à donner
Les assureurs et les réassureurs auront sans doute des définitions variées d’une même condition médicale, ce qui aura une incidence sur l’évaluation des réclamations. Par exemple, l’assureur A pourrait verser 25 % du montant de garantie parce que la condition ou intervention couverte correspond à un certain seuil de gravité, tandis que l’assureur B verserait une prestation différente en fonction de sa propre définition. Les conseillers devront comprendre non seulement toutes les particularités d’un produit donné, mais aussi les différences entre les assureurs. Il sera donc encore plus difficile pour eux de saisir, d’expliquer et de vendre les produits d’assurance maladies graves.
Complexité de l’évaluation des réclamations
Bien que les taux de refus pourraient baisser si les polices prévoyaient des prestations partielles, l’évaluation des réclamations pourrait devenir plus ardue. En l’absence de médecin-conseil à temps plein, certains services des réclamations pourraient avoir de la difficulté à distinguer les seuils de gravité, ce qui entraînerait probablement une hausse des différends et des litiges pour les assureurs. Des complications sont susceptibles de survenir si l’état d’un titulaire de police s’aggrave après l’envoi de sa réclamation. L’ajout de seuils de gravité pourrait aussi être une source d’insatisfaction chez les assurés s’ils estiment que leur situation correspond à un seuil supérieur à celui évalué et qu’ils sont admissibles à une prestation plus élevée.
Bouleversement des processus
Les processus internes devraient également évoluer. Les assureurs et les réassureurs devront mettre en place des systèmes d’administration et de traitement des réclamations pour faire le suivi de la fidélisation, établir les prestations partielles en fonction du montant de garantie établi et surveiller l’expérience.
Risque de surdiagnostic
On s’attend à ce que les nouvelles technologies médicales aient un effet majeur sur l’assurance maladies graves. Par exemple, les analyses sanguines novatrices, comme la « biopsie liquide » (site en anglais seulement), permettent de détecter un cancer plus rapidement. De même, l’analyse de vastes quantités de données à l’aide de l’intelligence artificielle (IA) peut donner lieu à des diagnostics précoces. Ces progrès médicaux pourraient devancer les traitements et avoir un effet positif sur la mortalité – ce qui est une bonne nouvelle globalement. Cependant, le diagnostic de variantes bénignes qui sont peu susceptibles d’avoir un effet sur la mortalité ou la morbidité est également possible. Cette situation, qu’on appelle le surdiagnostic, est un inconvénient reconnu du diagnostic assisté par l’IA. Les assureurs qui choisiront d’offrir des prestations réduites feront certainement face à une hausse des réclamations d’assurance maladies graves en raison des diagnostics précoces. Ils seront aussi contraints de surveiller continuellement l’émergence de nouveaux diagnostics.
Risque d’informations divergentes
Compte tenu des diagnostics précoces et de la détection de variantes de moindre gravité, la possibilité d’une asymétrie de l’information devient une préoccupation pour le secteur de l’assurance maladies graves. Autrement dit, les gens sont susceptibles de posséder de grandes quantités de données personnelles obtenues grâce à des produits de diagnostic commerciaux ou associés au mieux-être. Dans un avenir dominé par l’IA, on s’attend à une hausse fulgurante de la quantité et de la fiabilité des renseignements génétiques, mais ces renseignements ne peuvent pas être fournis aux assureurs.
Tarification et considérations relatives au coût
Les conseillers sont généralement d’avis que les produits d’assurance maladies graves sont coûteux et difficiles à vendre. Selon le Sondage sur l’assurance individuelle de Munich Re 2024, la prime moyenne d’une assurance maladies graves individuelle était de 12,50 $ par année par tranche de 1 000 $ en 2023, comparativement à 7,40 $ pour une assurance vie individuelle2. Les protections d’assurance maladies graves complémentaires (qui prévoient des prestations partielles en plus de la prestation entière) sont courantes au Canada et l’élargissement de la protection pour inclure des prestations partielles augmenterait probablement le coût de l’assurance maladies graves.
Comme l’expérience des assureurs est limitée à l’égard de ces réclamations, ils pourraient ne pas disposer des données nécessaires pour déterminer adéquatement les taux d’incidence associés aux différents stades de gravité. Au Canada, les produits d’assurance maladies graves sont surtout offerts avec des primes fixes pour toute la période d’assurance. Le manque de données sur les conditions médicales ouvrant droit à une prestation partielle pourrait nécessiter une marge accrue pour compenser les primes fixes.
Les primes ajustables sont une solution de rechange aux primes fixes. Dans d’autres pays où l’assurance maladies graves fondée sur la gravité est offerte, les primes ajustables sont plus courantes et peuvent donner lieu à des primes réduites, étant donné la durée limitée ou nulle de la période de garantie. Les primes ajustables donnent aussi aux assureurs la marge de manœuvre nécessaire pour rajuster les tarifs en fonction de facteurs incertains, dont ceux susmentionnés : l’évolution rapide des connaissances médicales et des définitions des maladies, la probabilité accrue de diagnostics précoces et les changements de tendances en matière d’incidence des maladies. Cependant, il semble y avoir un intérêt très limité pour les primes ajustables au Canada.
Devrions-nous proposer davantage les prestations réduites au Canada?
Les assureurs s’efforcent d’agir dans l’intérêt de leurs assurés et les nouvelles façons de répondre aux besoins des clients sont toujours les bienvenues. Mais quel avenir devrait-on réserver à l’assurance maladies graves?
Déjà, les assureurs canadiens peuvent choisir de verser une prestation réduite en cas de variantes de moindre gravité d’une condition ou d’une intervention couverte, comme un cancer de la prostate à un stade précoce ou une chirurgie mineure. À première vue, l’argument en faveur de l’intégration des prestations réduites semble convaincant : l’accroissement des conditions et interventions couvertes devrait, au bout du compte, réduire les taux de refus des réclamations, ce qui pourrait améliorer la satisfaction des clients et faire augmenter les ventes.
Cependant, il s’agit peut-être d’une conclusion simpliste. Les prestations réduites complexifient le produit et pourraient ajouter à la confusion. Les conseillers devront expliquer les seuils de gravité, les gestionnaires en réclamations composeront avec plusieurs versions de documents médicaux lorsqu’une condition médicale évolue et, enfin, l’assureur devra annoncer à la personne assurée qu’elle est seulement admissible à une prestation réduite. Ces conditions ne sont pas nécessairement propices à la satisfaction de la clientèle.
Peut-être plus important encore, les débats entourant les prestations réduites pour des variantes de moindre gravité n’abordent pas la question fondamentale du rôle de l’assurance maladies graves au Canada. Comme son nom l’indique, cette assurance a été conçue pour fournir une aide financière aux personnes recevant un diagnostic « catastrophique » ou « critique » qui peut bouleverser leur vie et avoir des répercussions financières considérables. L’introduction de prestations réduites en cas de conditions médicales de gravité moindre s’écarte considérablement de l’intention initiale. On peut raisonnablement se questionner sur la nécessité de couvrir des maladies bénignes. Quel en serait le but? Devrions-nous rebaptiser le produit « assurance maladies pas-si-graves »? Les assureurs canadiens doivent procéder avec précaution pour éviter de s’éloigner de la raison d’être du produit.
L’élargissement de la protection offerte par l’assurance maladies graves pour inclure des conditions médicales bénignes complexifie les choses et ne comblera sans doute pas les lacunes actuelles perçues : la mauvaise compréhension du produit et le haut taux de refus des réclamations. L’éducation des conseillers et des consommateurs reste la meilleure façon de faire connaître l’assurance maladies graves et d’accroître la compréhension à son égard au Canada. En fin de compte, les consommateurs se tournent vers les conseillers et les assureurs pour qu’ils leur expliquent la pertinence du produit, son fonctionnement et les étapes entre le diagnostic et le règlement d’une réclamation. Il nous incombe à tous dans l’industrie de nous assurer que nous offrons des produits adaptés aux besoins des gens.